7.15.2006

La pertinence des concepts religieux

Tout ce qui est surnaturel ne devient pas forcément religieux.

Pour que le mécanisme que nous avons décrit ici produise des idées religieuses à partir des concepts surnaturels disponibles, il faut que ces concepts s'avèrent pertinents.

C'est à cette condition seulement -la pertinence- que les idées pourront se transmettre entre les personnes et s'intégrer au corpus culturel.

La pertinence comme facteur de la transmission des idées culturelles en général et des concepts religieux en particulier a été développée par l'anthropologue Dan Sperber et la linguiste Deidre Wilson. Ces travaux avaient déjà fortement inspiré P.Boyer dans "La religion comme phénomène naturel".

Cette théorie est assez difficile à résumer ; d'après ce que j'ai compris, elle s'inspire d'un shéma évolutionniste pour expliquer la diffusion sociale des idées et des phénomènes culturels. Sur le modèle des gènes, les idées et les concepts culturels évolueraient en fonction de leur pertinence. Plus celle-ci serait élevée, plus l'idée aurait de facilité, d'aptitude à se transmettre et s'installer comme un concept culturel "dominant" (c'est moi qui précise). Les idées évolueraient donc naturellement vers une pertinence toujours plus grande, creusant ainsi une sorte de sillon, à la manière des "orographies culturelles" de Gilbert Durand. A l'inverse, les idées et concepts peu pertinents finissent par disparaître dans les limbes de l'Histoire, progressivement oubliés.

Les concepts religieux se caractérisent par une forte pertinence. Il s'agit tout d'abord de faits surnaturels, qui retiennent l'attention en violant certaines inférences logiques. Dans les plupart des religions, on trouve des dieux, des esprits ou tout simplement les ancêtres qui disposent de facultés surnaturelles: voir ce qui est caché, connaître les intentions secrètes des personnes...

Ces dieux et esprits omniscients sont particulièrement pertinents parce que nous nous les représentons comme des personnes susceptibles d'interactions sociales, à l'instar de nos parents, amis, collègues ou rencontre fortuite.

1 commentaire:

François Brunot a dit…

Bonjour LSM,

Je vous cite : "Tout ce qui est surnaturel ne devient pas forcément religieux."

Comme j'écris le 24 décembre 2012, je me pose des questions sur noël : est-ce que le père noël est un agent surnaturel religieux ?

Selon Pascal Boyer, il faudrait au père noël les trois attributs suivants pour être un agent surnaturel pertinent :
- législateur,
- et/ou parangon (ou modèle),
- et/ou concerné par les affaires humaines.

Le plus important est le troisième, sinon l'agent surnaturel perd de sa pertinence.
Le père noël n'est pas législateur (sauf à insister auprès de son enfant sur le "sois sage sinon le père noël ne te donnera pas de cadeau.").
Le père noël n'est à priori pas un parangon (je doute qu'un enfant rêve de descendre dans les cheminées ou de faire le tour des maisons pour déposer des cadeaux devant des sapins). Mais le mythe du gros bonhomme nous offre aussi un personnage capable de donner des cadeaux à tout le monde, même aux enfants qui n'ont pas vraiment été sages. Il est donc généreux. Quant à ses lutins, représentés comme de petits enfants, ils sont travailleurs. Il pourrait donc être un genre de modèle.
Le troisième point maintenant : est-il concerné par des affaires humaines ? Évidemment oui, si un enfant lui écrit, il répond. Il connaît l'adresse de l'enfant. Il sait même éventuellement si un enfant s'est conduit gentiment. Il connaît le type d'habitation de l'enfant. Il sait s'il faut rentrer par la cheminée ou directement dans le salon. Même en appartement, il est facile d'imaginer que les murs savent qu'il est gentil, le reconnaissent et le laissent passer ; un méchant voleur n'a pas droit à autant d'égards. Bref, il dispose des "informations stratégiques".

Mais en dehors du temps de noël, il se repose et il ne prend pas part aux affaires humaines. De plus, il ne s'occupe des enfants mais pas des "grandes personnes".

En plus des trois caractéristiques, le père noël doit être rattaché à une catégorie ontologique. Elle semble évidente : père noël = personne + violations d'attentes intuitives (omniscient, rapide, possède des rennes qui volent, change de formes et de lieux, etc.)

Le fait qu'il change de forme et de lieux est intéressant. Il y a plusieurs pères noëls simultanément (magasins, télé, maison ou appartement) et, en même temps, une seule "essence" de père noël. Une seule "âme" ou "nature" de père noël. Peu importe son apparence, pour un enfant "dedans" c'est toujours le même "esprit de père noël". Notre cerveau peut faire cette inférence mais je ne sais pas si elle est évidente pour un enfant.

Au final, après avoir lu presque tout le livre de Pascal Boyer, je pense que père noël est bien un agent surnaturel. Surnaturel certes, mais pas religieux car il lui manque une implication permanente dans les affaires humaines : c'est un agent surnaturel bien plus pertinent à noël qu'à d'autres périodes de l'année.

A l'écoute de vos commentaires.

Joyeux Noël !