6.21.2006

La touche personnelle

Puisqu'un blog peut être littéraire et possède à l'origine une vocation auto-biographique, je n'hésite pas à ajouter ici une note personnelle.

En 1999, dans le cadre de mon cursus personnel à la recherche de l'origine des phénomènes (celui que je raconte ici), j'ai été conduit à m'inscrire en DEA de sciences des religions à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes.

Pendant deux ans (comme salarié, j'avais le droit d'étaler mon diplôme sur deux années), j'ai fréquenté cette noble institution et disposé d'un accès libre à ce temple de la recherche scientifique consacrée aux fait religieux.

Mon directeur d'études était John Scheid, un monument de rigueur intellectuelle, spécialiste de la religion romaine (il est maintenant professeur au collège de france). A l'EPHE intervenait tout le gratin des antiquisants, des orientalistes, historiens des idées, anthropologues et sociologues. Tous ces gens étaient accessibles, on pouvait leur serrer la main et (essayer de) discuter avec eux.

Je dois dire que ce fut pour moi une grande expérience qui m'a fait progresser sur un plan personnel, au delà de toute attente. C'est vrai que tout cela fait rêver un peu ; regardez ici le programme des enseignements de l'Institut Louis Gernet, par exemple....


Je devais passer une UV d'anthropologie religieuse ; pour cela, je suivais les conférences de Patrick Menget. En fait, pour un salarié c'est très difficile de suivre vraiment un enseignement en entier. Mais Menget parlait de peuples bizarres, il rendait claires des choses compliquées, en vous mettant dans les mains les outils conceptuels accumulés par les plus grands chercheurs en histoire des religions. Je l'ai revu une fois, nous avons discuté et il m'a fait lire "Façons de dire, façons de faire" d'Yvonne Verdier et "Les mots, la mort, les sorts" de Jeanne Favret-Saada, deux grandes "claques" dont il faudra que je reparle dans ce blog.

A la fin de l'enseignement d'anthropologie, il fallait rendre un travail écrit. Là c'était plus difficile pour moi. Il ne suffisait plus de poser quelques questions "intelligentes" de temps à autre ; il fallait produire du sens et je n'avais jamais "fait" d'anthropologie de ma vie (formation de juriste, maitrise de droit des affaires et DESS de fiscalité).

Quelques semaines avant l'examen, j'étais tombé sur "la religion comme phénomène naturel" et j'avais commencer à le lire. Dans sa préface, Boyer parle de Menget qui fut également son professeur. Il raconte que Menget l'a convaincu que l'anthropologie avait besoin de "repenser les questions fondamentales et de trouver des réponses audacieuses".

J'ai passé une semaine sur ce livre, à annoter, recopier, m'interroger et j'ai rendu un espèce de compte-rendu détaillé de lecture du bouquin (ce qui n'était pas une mince affaire!). Menget m'a mis une bonne note. En bon anthropologue, il a peut-être été plus sensible à mon dépaysement (un banquier de 40 ans laché à l'EPHE ! ) qu'à mes capacités scientifiques. Il est certain que le fait que j'ai choisi ce bouquin l'a interpellé.

C'était la note auto-biographique, la première et la dernière.

6.16.2006

"Et l'homme..." au fil des blogs

Un autre témoignage de lecteur convaincu. Je dois avouer que je n'ai pas lu jusqu'au bout ; le post m'a semblé trop long et il m'a paru évident que ce monsieur conduit plusieurs discours à la fois.

6.15.2006

A l'origine des faits religieux, le surnaturel

A l'EPHE, j'ai compris qu'il était vain de chercher les origines.

Pourtant j"ose ce titre ; il a une vocation pédagogique. Il s'agit d'expliquer comment un phénomène se caractérise comme religieux (Boyer règle d'ailleurs son premier chapitre la question des origines d'une manière magistrale).

Disons pour l'instant que les idées religieuses mettent toutes en scène des êtres doués de propriétés étranges -des agents surnaturels-, que ces idées sont principalement relatives au malheur social ou biologique, à la mort, et spécialement AU mort, vu comme cadavre.

A l'origine du religieux, il y a donc des faits qui apparaissent comme surnaturels.

L'anthropologue s'attache à expliquer comment ces faits surnaturels parviennent à se transformer en idées religieuses, en se diffusant d'une manière efficace pour s'intégrer à la culture dominante (c'est moi qui introduit ce concept).

Le raisonnement de Boyer est le suivant (je résume les principales étapes du chapitre "à quoi ressemble le surnaturel" de son livre :
  • Certains concepts relèvent du surnaturel. Par exemple, un être omniscient ou qui voit l'avenir ou bien un objet qui parle, qui guérit les maladies si on lui récite certaines paroles.
  • Ces concepts surnaturels mettent en scène les catégories ontologiques que notre cerveau est amené à manipuler pour nous permettre d'appréhender le monde : personne, artefact, animal, objet naturel, plante. Ces catégories ontologiques font toutes l'objet d'une description précise au plus profond de notre esprit, un inventaire de propriétés actives et passives (se déplacer, se reproduire, mourir, avoir des intentions précises, ne pas se casser en mille morceaux en cas de choc raisonnable sur le carrelage, etc).
  • Ces catalogues de propriété nous permettent d'inférer intuitivement des prédictions précises (du genre si le chien court après le chat, c'est pour l'attraper). Dans notre fonctionnement cognitif, ces inférences logiques sont permanentes et parfaitement inconscientes (ou au moins intuitives) ; elles nous permettent d'appréhender notre monde de manière efficace, c'est-à-dire économe de nos ressources intellectuelles et psychiques (c'est moi qui reformule).
  • Le surnaturel apparaît lorsqu'un concept est en violation de ces prédictions intuitives (un objet qui parle, une personne qui ne vieillit pas).
Stop, là on s'arrête. Vous avez remarqué ?

En un chapitre, Boyer nous explique "à quoi ressemble le surnaturel", et l'explication -un bijou scientifique de clareté et de concision- vous apparaît brusquement comme l'évidence .
Pourtant nombreux sont ceux qui ont posé la question de l'émergence du surnaturel (je m'intéresse ailleurs aux efforts de Lovecraft et à ceux de l'universitaire Louis Vax pour définir le sentiment de l'étrange et du surnaturel) ; jamais je n'avais lu quelque chose d'aussi convaincant (mais je n'ai pas tout lu, loin s'en faut).

Découverte de l'anthropologie cognitive

Pascal Boyer prend la suite de la longue liste de philosophes antiques et modernes, d'historiens des religions, de sociologues et d'anthropologues qui s'intéressent au sentiment religieux.

Pour expliquer ce sentiment, on a imaginé toutes les raisons. L'inventaire des origines, causes, circonstances factuelles avançées pour expliquer le sentiment religieux prendrait une encyclopédie.

A ma connaissance, peu d'historiens des religions ont jusqu'à présent abordé leur domaine de recherche sous l'aspect cognitif. C'est-à-dire (je résume très grossièrement) en examinant les faits religieux à la lumière des connaissances accumulées depuis une centaine d'année à propos du fonctionnement du cerveau humain, notamment de la construction des facultés cognitives.

Boyer est avant tout un anthropologue ; on remarque une grande rigueur dans la formulation des faits religieux qu'il donne en exemples ; on est également admiratif devant l'acuité des observations.

Mais sa phénoménologie repose sur une subtile et profonde connaissance de notre fonctionnement cérébral.

A lire "Et l''homme créales dieux", l'approche cognitive s'impose comme une évidence. Par les concepts et les méthodes qu'elle introduit, elle donne un éclairage nouveau à de nombreux dossiers fondamentaux comme la transmission des idées religieuses, la place du rituel ou les modalités de formation d'une élite de spécialistes religieux.

6.12.2006

Acheter les livres dont on parle ici

Une des qualités du blog libraire doit être la discrétion sur le plan des liens commerciaux. Le blog rend un service à ses lecteurs en les mettant en relation avec un libraire en ligne. Le blog se rémunère auprès du libraire en ligne pour l'apport d'affaires réalisé. C'est tout.

Donc pour éviter tout tapage publicitaire qui nuirait à la lisibilité des contenus, les liens vers le libraire seront regroupés sur une seule page qui tiendra lieu d'espace de vente.

Vous y êtes ici.

Le livre au centre de nos réflexions :


Un autre ouvrage de P.Boyer, plus technique, mais qui constitue assurément les prémisses de "et l'homme..." :


Ce que j'appelle les prémisses (dans un ordre aléatoire):

Wittgenstein, conscience, langage et philosopher :


Autre "prémisse" de mon illumination : le Tchouang-Tseu de Billeter :

Du blog de lecteur au blog librairie

On peut transcender avec Boyer sur les abimes du fonctionnement de la pensée humaine, on en est pas pour autant déconnecté des réalités matérielles de notre environnement socio-économique.

Je veux juste dire que je réfléchissais à ce que je fais, avec ce blog de lecteur, où je parle des livres que j'aime, et dans lequel j'insère des liens vous permettant d'acheter les ouvrages en ligne.

C'est un blog de lecteur qui devient "marchand", donc une (micro-)librairie en ligne.

J'écris à propos de mes expériences de lecteur pour les partager avec vous. Quelques clics et votre numéro de CB suffisent pour me rejoindre dans la communauté des lecteurs de Boyer.

Il y a là pour les éditeurs une formidable opportunité : la promotion des livres faite directement par leurs lecteurs...

PS : Parce que je veux privilégier la lisibilité et l'ergonomie de ce blog, je m'engage à ne pas le noyer sous les publicités de libraire. Si l'un des ouvrages évoqués manque à votre bibliothèque, vous pourrez ici le commander à un libraire en ligne.

Un ouvrage fondamental : je ne suis pas le seul à le dire

En effectuant mes petites recherches et autres référencements, je suis tombé sur le blog d'un "collègue" (ou devrais-je parler d'un coreligionnaire ?)

Munduruku semble lui-aussi avoir eu une révélation en lisant Boyer ...

munduruku un point de vue naif.: de la religion à la science dans l'économie de la connaissance

Bientôt un forum ?!?

6.01.2006

Les prémisses : Wittgenstein et les limites du langage de P.Hadot

J'ai acheté ce peit livre à laFnac il y a six mois.
W. m'a toujours fasciné. Pour plusieurs raisons. Il était autrichien. Logicien (encore un!). Tout petit j'avais repéré le titre hallucinant du tractatus.Plus récemment j'ai relu de la certitude. Et puis je suis tombé sur le bouquin de Hadot : là aussi, des vérités fondamentales, données à voir, accessibles, en partage.
L'impossibilité de penser la conscience en dehors de langage confrontée à l'incapacité du langage à exprimer ce qu'est la conscience. Et W. d'affirmer toute l'inutilité de la grande prise de tête philosophique.

Les prémisses : Leçons sur Tchouang Tseu de J.F.Billeter

C'est paradoxal que ce message soit rester vide si longtemps.

Le petit bouquin de Billeter m'a occupé pendant plus de trois années de ma vie. C'est à dire que je n'ai plus rien lu d'autres pendant plus de 30 mois. Je l'ai acheté en cinq ou six exemplaires. J'en ai offert plusieurs.

C'était il y a quelques années. Tchouang-Tseu m'a concrètement aider à voir le monde différemment. Une expérience qui m'arrivait pour la première fois. T.T et Billeter me parlaient également de la conscience et de cette brusque irruption des causes premières qu'elle sait parfois provoquer, avec toujours un retentissement surnaturel.

Les catégories ontologiques, l'imagination matricielle et Hollywood

Premier dossier que j'envisagerai dans l'ouvrage de Pascal Boyer : les catégories ontologiques, la notion d'inférence et les violations aux propriétés logiques que doivent contenir certaines énonciations relevant du domaine religieux.

Les prémisses : La religion comme phénomène naturel de P.Boyer

Dans cet autre post, je raconte comment j'ai rencontré ce livre.

Les prémisses : La séduction de l'étrange de L.Vax

C'est ma mère qui m'a donné ce bouquin. Il lui était dédicacé par l'auteur, un collègue à elle de la Faculté de N. A l'époque c'était déjà un vieux monsieur, un professeur de philosophie, spécialiste de logique. Il m'avait fait un cadeau, le Marteau des Sorcières, (mais dans une version en allemand, moins drôle).

C'est amusant, c'est également ma mère qui m'a offert le Tchouang-Tseu, pour Noel, ( 2002 ou 3, je ne sais plus).

Les prémisses : Epouvante et surnaturel en littérature de H.P.Lovecraft

Pourquoi ce livre ?

Il va être long d'expliquer pourquoi, aujourd'hui dans le RER, vers 18 heures, il m'a paru évident que je devais commencer un blog à propos du livre de Pascal Boyer,"Et l'homme créa les dieux".

Je pense même que l'essentiel du contenu de ce blog sera consacré à écouter les multiples échos que suscitent en moi les idées de ce livre (ici un premier exemple).

Pour situer immédiatement mon contexte personnel (car à l'origine, c'est bien de cela qu'il s'agit), il faut que je commence par de menues confidences.

Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs d'enfant, j'ai été fasciné par le fonctionnement de mon esprit et envahi de la conscience d'une dimension transcendentale dans le fonctionnement du cerveau et ce que je pouvais appréhender des mécanismes cognitifs.

Cette curiosité pour soi-même ne m'a jamais quitté et en plus de 40 années de vie, j'y ai consacré quantité d'heures de lectures, de réflexion et de recherches aussi. Je serai amené à y revenir mais pour le moment, j'ai promis d'expliquer pourquoi...

Pour faire bref donc, disons que ce questionnement m'accompagne depuis longtemps : comment expliquer le formidable débordement de créativité du notre (mon) cerveau et d'une manière plus générale, où situer les limites du phénomène de la conscience propre à notre condition humaine ?

De nombreux livres m'ont accompagné dans cette réflexion. Quelques uns constituent des jalons importants sur le chemin qui m'a conduit à l'homme créa les dieux :
  • En 1978 j'ai lu Epouvante et surnaturel en littérature de H.P. Lovecraft.
  • Vers 1988, La séduction de l'étrange de Louis Vax.
  • En 1998, La religion comme phénomène naturel de Pascal Boyer. A cette époque, j'étais étudiant à l'Ecole Pratiques des Hautes Etudes (section des sciences religieuses). j'ai travaillé quelques semaines sur le livre pour passer un examen et j'ai eu l'impression d'avoir accompli un vrai progrès dans ma quète ; les choses me paraissent déjà un peu plus claires.
  • En 2003, j'ai lu "Et l'homme créa les dieux" du même auteur. Et là, je dois reconnaître que pendant la lecture, à de nombreuses reprises, il m'est arrivé de me sentir comme Claudel derrière son pillier : enfin je comprenais et tout me paraissait clair, enfin intelligible.
J'ai bien l'intention de parler de chacun de ces livres dans le détail. D'autres également : Leçons sur Tchouang-tseu de J.F.Billeter et Wittgenstein et les limites du langage de P.Hadot, parce qu'ils prolongent et illustrent d'une certaine manière la réflexion de l'anthropologue.

Je veux rapidement passer aux concepts développés par Boyer pour donner des exemples de leur fécondité et expliquer ces fameuses "résonnances" avec mes interrogations personnelle.

Le premier dossier que je traiterais concerne les catégories ontologiques et la structure matricielle qu'elles imposent à notre imagination. Cette théorie fournit un étonnant outil pour observer la production de la littérature et du cinéma fantastique (certainement de la peinture aussi, mais je n'entend jamais parler de "peinture fantastique" comme un genre bien identifié).